16 octobre 2020

50ème ANNIVERSAIRE DE LA VICTOIRE ÉLECTORALE DE SALVADOR ALLENDE : MESSAGE DE SOLIDARITÉ

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TIMBRE VIETNAM - NORD YT 830 

Le président de la Commission centrale des relations extérieures du Parti communiste du Vietnam, Hoàng Binh Quân, a adressé un message au Forum de Sao Paulo à l'occasion du 50ème anniversaire du triomphe électoral de Salvador Allende, représentant de l'unité populaire au Chili et leader socialiste dans l'hémisphère occidental.

CAPTURE D'ÉCRAN
Le Courrier du Vietnam

S'adressant à l'événement commémoratif pour l'occasion, organisé en ligne le 15 octobre, le chef de la Commission des relations extérieures du Comité central du Parti communiste du Vietnam, Hoàng Binh Quân, a affirmé que le paradigme de lutte du défunt président chilien continue d'être une source d'encouragement pour les forces progressistes et de gauche en Amérique latine et dans le monde, qui génère la confiance dans la victoire du combat pour la paix, l'indépendance nationale, pour le peuple, la démocratie et le progrès social, favorisant ainsi la paix, la coopération et le développement.

Pour le peuple vietnamien, Salvador Allende était connu comme un symbole du mouvement international qui a soutenu le pays indochinois dans les guerres d'indépendance passées, et aussi un grand ami, un compatriote et le dernier homme politique étranger à rencontrer le Président Hô Chi Minh en mai 1969, a-t-il souligné.

Le dirigeant chilien a joué un rôle décisif dans la pose des bases des relations diplomatiques entre Hanoï et Santiago du Chili, ainsi qu'entre le Parti communiste du Vietnam avec le Parti socialiste et les forces progressistes et de gauche du Chili, a-t-il rappelé.

Les discours des délégués participants ont convenu que l'héritage de Salvador Allende reste valable jusqu'à aujourd'hui, y compris les expériences réussies de rassemblement des forces populaires pour mettre en œuvre des programmes pour des changements profonds dans la société, et ont affirmé que les mouvements progressistes en Amérique latine doivent s'unir et partager les différences pour faire face à de nouveaux défis.

VNA/CVN

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11 septembre 2020

CHILI : 11 SEPTEMBRE 1973

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C’était le 11 septembre. Détournés de leur mission ordinaire par des pilotes décidés à tout, les avions foncent vers le cœur de la grande ville, résolus à abattre les symboles d’un système politique détesté. Très vite : les explosions, les façades qui volent en éclats, les effondrements dans un fracas d’enfer, les survivants atterrés fuyant couverts de débris. Et les médias qui diffusent la tragédie en direct...
par Ignacio Ramonet
DESSIN DE PLANTU PUBLIÉ DANS 
LE MONDE DU 11 SEPTEMBRE 2003

New York, 2001 ? Non, Santiago du Chili, 11 septembre 1973. Avec la complicité des États-Unis, coup d’État du général Pinochet contre le socialiste Salvador Allende, et pilonnage du palais présidentiel par les forces aériennes. Des dizaines de morts et le début d’un régime de terreur long de quinze ans...

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SALVADOR ALLENDE AU PALAIS DE LA MONEDA LE 11 09 1973.  
PHOTO LEOPOLDO VÍCTOR VARGAS
Par-delà la légitime compassion à l’égard des innocentes victimes des attentats de New York, comment ne pas convenir que les États-Unis ne sont pas - pas plus que nul autre - un pays innocent ? N’ont-ils pas participé à des actions politiques violentes, illégales et souvent clandestines en Amérique latine, en Afrique, au Proche-Orient, en Asie... ? Dont la conséquence est une tragique cohorte de morts, de « disparus », de torturés, d’embastillés, d’exilés...

L’attitude des dirigeants et des médias occidentaux, leur surenchère proaméricaine ne doivent pas nous masquer la cruelle réalité. À travers le monde, et en particulier dans les pays du Sud, le sentiment le plus souvent exprimé par les opinions publiques à l’occasion de ces condamnables attentats a été : « Ce qui leur arrive est bien triste, mais ils ne l’ont pas volé! »

Pour comprendre une telle réaction, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que, tout au long de la «guerre froide » (1948-1989), les États-Unis s’étaient déjà lancés dans une « croisade » contre le communisme. Qui prit parfois des allures de guerre d’extermination : des milliers de communistes liquidés en Iran, deux cent mille opposants de gauche supprimés au Guatemala, près d’un million de communistes anéantis en Indonésie... Les pages les plus atroces du Livre noir de l’impérialisme américain furent écrites au cours de ces années, marquées également par les horreurs de la guerre du Vietnam (1962-1975).

C’était déjà « le Bien contre le Mal ». Mais à l’époque, selon Washington, soutenir des terroristes n’était pas forcément immoral. Par le biais de la CIA, les Etats-Unis préconisèrent des attentats dans des lieux publics, des détournements d’avions, des sabotages et des assassinats. A Cuba contre le régime de M. Fidel Castro, au Nicaragua contre les sandinistes ou en Afghanistan contre les Soviétiques.

C’est là, en Afghanistan, avec le soutien de deux Etats très peu démocratiques, l’Arabie saoudite et le Pakistan, que Washington encouragea, dans les années 1970, la création de brigades islamistes recrutées dans le monde arabo-musulman et composées de ce que les médias appelaient les «freedom fighters », les combattants de la liberté ! C’est dans ces circonstances, on le sait, que la CIA engagea et forma le désormais célèbre Oussama Ben Laden (lire « Les liaisons douteuses du Pakistan »).

Depuis 1991, les États-Unis se sont installés dans une position d’hyperpuissance unique et ont marginalisé, de fait, les Nations unies. Ils avaient promis d’instaurer un « Nouvel ordre international » plus juste. Au nom duquel ils ont conduit la guerre contre l’Irak. Mais, en revanche, ils sont demeurés d’une scandaleuse partialité en faveur d’Israël, au détriment des droits des Palestiniens (1). De surcroît, malgré des protestations internationales, ils ont maintenu un implacable embargo contre l’Irak, qui épargne le régime et tue des milliers d’innocents. Tout cela a ulcéré les opinions du monde arabo-musulman et facilité la création d’un terreau où s’est épanoui un islamisme radicalement antiaméricain.

Comme le Dr Frankenstein, les États-Unis voient maintenant leur vieille création - Oussama Ben Laden - se dresser contre eux, avec une violence démentielle. Et s’apprêtent à le combattre en s’appuyant sur les deux États - Arabie saoudite et Pakistan - qui, depuis trente ans, ont le plus contribué à répandre à travers le monde des réseaux islamistes radicaux, au besoin à l’aide de méthodes terroristes !

Vieux briscards de la guerre froide, les hommes qui entourent le président George W. Bush ne sont sans doute pas mécontents de la tournure que prennent les choses. Peut-être considèrent-ils même qu’il s’agit d’une aubaine. Car, miraculeusement, les attentats du 11 septembre leur restituent une donnée stratégique majeure dont l’effondrement de l’Union soviétique les avait privés pendant dix ans : un adversaire. Enfin ! Sous le nom de « terrorisme », cet adversaire désigné, chacun l’aura compris, est désormais l’islamisme radical. Tous les dérapages redoutés risquent maintenant de se produire. Y compris une moderne version du maccarthysme qui prendrait pour cible les adversaires de la mondialisation. Vous avez aimé l’anticommunisme ? Vous adorerez l’anti-islamisme !

Ignacio Ramonet.
Directeur du Monde diplomatique de 1990 à 2008.

(1) Lire Alain Gresh, Israël, Palestine. Vérités sur un conflit, Fayard, Paris, 2001.

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LA FRANCE FACE AU COUP D’ÉTAT DU 11 SEPTEMBRE 1973, UNE AFFAIRE EXPLOSIVE

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PHOTO FRANCE TV
Avec une mobilisation diplomatique hors du commun, la France fait face au coup d’Etat de Pinochet en ouvrant les portes de son ambassade à près de 800 réfugiés. Dans un pays concerné par son activité militaire dans le Pacifique, s’entremêlent les rouages de sa politique de défense et la défense de ses valeurs les plus profondes. Un journaliste antimilitariste chilien, Eugenio Lira Massi, se retrouve au coeur de cet imbroglio diplomatique.

Thomas Lalire

JEAN-NOËL BOUILLANE DE LACOSTE
PHOTO FRÉQUENCE PROTESTANTE
 

Santiago du Chili, 13 septembre 1973. Jean-Noël Bouillane de Lacoste, premier conseiller de l’ambassade, garde l’oreille collée au poste de radio. Deux jours plus tôt, les forces armées chiliennes ont bombardé le palais présidentiel de la Moneda. Le Président socialiste Salvador Allende est porté disparu. Les putschistes, soutenus par les États-Unis ont gagné. Commence la traque des dissidents. 

En écoutant les communications militaires, Lacoste a noté la liste de 95 personnalités de gauche recherchées. Dans l’après-midi, l’une d’entre elles, Eugenio Lira Massi vient demander la protection de la France. Ce jeune journaliste est connu pour des articles sulfureux publiés dans le quotidien satirique Puro Chile qu’il a fondé peu avant l’élection d’Allende en 1970. Contrairement aux ambassades latino-américaines, la France ne pratique pas l’asile diplomatique. Pour le conseiller français, c’est un cas de conscience qu’il doit rapidement résoudre en l’absence de son ambassadeur. Il décide de passer outre les risques et ouvre les portes de l’ambassade au journaliste en fuite. 


Le début d’une opération humanitaire de grande ampleur 

De retour au Chili le 22 septembre, l’ambassadeur Pierre de Menthon approuve l’initiative de son conseiller malgré les réserves initiales du Quai d’Orsay. Quelques jours plus tôt, le Président de la République lui a donné un ordre sibyllin : « Faites tout votre possible sur le plan humanitaire ». Bien que George Pompidou refuse de condamner le coup d’État du général Pinochet arguant lors d’une conférence de presse le 27 septembre que « la France reconnaît les États, pas les gouvernement », il offre une liberté d’action à son ambassade pour une action humanitaire de grande ampleur. Cette position est officialisée le lendemain : la France participera à l’accueil des réfugiés.

Rapidement, les demandeurs d’asile affluent. Certains, comme le photographe Guillermo Saavedra viennent par eux-mêmes. D’autres, par l’intermédiaire de réseaux de « passeurs ». Ainsi, l’évêque Fernando Ariztia escorte personnellement plusieurs d’entre eux. Le 18 octobre, c’est l’abbé Pierre qui accompagne deux couples de la communauté Emmaüs de Temuco dont il a obtenu la libération. Pour tous, les mots de l’ambassadrice qui les accueille sont imprescriptibles. « Vous êtes en sécurité maintenant », leur dit-elle. 

Au total, l’ambassade de France permettra à 800 personnes d’échapper aux camps et tortures de la dictature chilienne. Face à l’afflux de réfugiés, Françoise et Pierre de Menthon ouvrent les portes de leur résidence. Des matelas sont prêtés par le lycée français et les rideaux sont transformés en draps et couvertures. Les épouses de diplomates s’occupent du ravitaillement quotidien.

 

Un bras de fer diplomatique avec la junte militaire


L’ambassade veille à l’obtention de sauf-conduits pour les réfugiés. Le bus de l’Alliance française assure la liaison vers l’aéroport. Pierre de Menthon les accompagne jusqu’au décollage vers la France. Huit mille personnes seront ainsi exfiltrées par les ambassades européennes et latino-américaines.

Mais la junte s’obstine à refuser le départ de certains. Eugenio Lira Massi en fait partie. Il écrit à sa femme Estella : « Les militaires sont les maîtres et les seigneurs du pays. Ils attribuent les sauf-conduits à leur bon plaisir. Il paraît qu’ils ont une dent contre ceux qu’ils n’ont pas pu capturer, torturer ou fusiller. Ou qu’ils n’ont pas envoyé sur l’île de Dawson ou dans le camp de Chacabuco ». 

Agacée par l’attitude de la France mais aussi de l’Italie et de la Suède, la junte a fixé un ultimatum aux États européens. Plus aucun sauf-conduit ne sera délivré après le 11 décembre. Mais les missions diplomatiques ne désarment pas. Les diplomates français remportent même quelques victoires, comme la libération du journaliste Ibar Aïbar, emprisonné dans le camp de Chacabuco. Il part pour la France avec sa femme Michelle et leurs enfants en février 1974.

Eugenio Lira Massi finit par recevoir son sauf-conduit. Le premier chilien accueilli par la France est donc le dernier à partir le 8 juin 1974. Jamais la diplomatie française n’a incarné avec autant d’humanité les valeurs de son triptyque républicain : Liberté, Egalité, Fraternité.


Une affaire explosive pour la République française 


EUGENIO LIRA MASSI 
Quelques semaines après son arrivée à Paris, Massi écrit une longue lettre de remerciement à Lacoste. Il concède aussi : “Je prends conscience aujourd’hui des ennuis que mes articles ont pu vous attirer”. Un an avant le Coup d’État, le journaliste avait en effet provoqué par ses écrits une crise diplomatique entre Santiago et Paris. Le sujet : la bombe atomique française. 


En juillet 1972, Massi rend publique dans Puro Chile une étude scientifique qui fait état du recueil de micro-cendres dans la cordillère attribuées aux essais nucléaires français. Il accuse la France de contaminer le Pacifique, de l’Île de Pâques à la Cordillère des Andes. Ces révélations provoquent la colère des parlementaires chiliens. Le Sénat demande au Président Allende d’intervenir auprès du gouvernement français. 

Pour Paris, ces accusations tombent au plus mauvais moment. Son programme nucléaire est très critiqué. L’Australie et la Nouvelle-Zélande envisagent de déposer une requête devant la Cour Pénale Internationale de La Haye, tandis que le Pérou affirme – sans en apporter la preuve – qu’une bombe française a provoqué un tremblement de terre dans les Andes . Les révélations de Massi, fondées sur des résultats scientifiques tangibles, pourraient aggraver la position de la France et mettre en péril la coopération technique (y compris dans le nucléaire civil) et militaire qui existe entre Paris et Santiago et qui remonte à la visite du Président de Gaulle en 1964. Le Président Allende, bien que pressé par les parlementaires, n’a pas intérêt à rompre avec la France tant il sait sa position précaire face à la puissance États-unienne.

Pierre de Menthon est chargé de déminer l’affaire. Le gouvernement français s’engage à fournir des appareils de mesure de la radioactivité et à vérifier la qualité des réserves d’eau potable de la capitale. En France, Michel Jobert, le Ministre des Affaires Étrangères, demande même à Alain Peyrefitte, le secrétaire général de l’Union des Démocrates pour la République (UDR, parti présidentiel) de modérer le zèle de ses militants engagés dans une campagne de calomnie contre le Chili d’Allende. Ce dernier fait alors figure de miroir de la gauche française du programme commun. Pour le quai d’Orsay soucieux de préserver les intérêts stratégiques de la France dans cette région, il s’agit de ne pas brusquer la « susceptibilité des Chiliens ». 


L’étrange disparition d’Eugenio Lira Massi 


Un an après son départ du Chili, en juin 1975, Eugenio Lira Massi, devenu balayeur au service nettoyage de l’Humanité, a rendez-vous avec deux amis journalistes chiliens, Guillermo Saavedra et Ibar Aïbar. Anciens collègues, ils vivent désormais en exil à Paris. « Ce jour-là, nous avons attendu Massi. Il n’est jamais venu », raconte Guillermo Saavedra. « Quand Aibar est allé à l’Huma, on lui a répondu que Massi s’était suicidé et qu’il avait été retrouvé mort dans son appartement, qu’il aurait bu plusieurs bouteilles d’alcool fort », ajoute-t-il. «Je pense qu’il a été assassiné, mais il n’y a jamais eu d’enquête ». 

A partir du milieu des années 1970, le Chili et les dictatures voisines ont lancé le Plan Condor, une campagne de contre-guérilla et d’assassinats politiques en Amérique latine et au-delà. Quelques mois après la mort de Massi, Orlando Letellier, un ancien ministre d’Allende fut assassiné dans un attentat à la voiture piégée à Washington. L’implication de la DINA fut reconnue et un de ses agents extradé vers les États-Unis.  

Dans ses travaux sur le plan Condor, le journaliste Dinges a étudié les circonstances du décès de Massi. Un article du journal Le Monde de 2010 relaie une interrogation  « Chaque année nous découvrons des homicides qui paraissaient auparavant des morts naturelles ». La France aurait-elle, au nom de ses intérêts stratégiques, fermé les yeux sur les agissements de la DINA sur son sol? 

Deux jours après le décès d’Eugenio Lira Massi, le Ministère des Affaires Étrangères français informait son ambassade à Santiago de l’arrivée de plusieurs appareils de mesure de la radioactivité. Il écrit : « la remise de ces matériels devra être effectuée directement par vos soins, en évitant toute mention quant à leur origine, afin de garder au réseau mondial le caractère confidentiel qui a marqué son fonctionnement». Sa volonté de garder le silence sur cette affaire est avérée. La mort de Massi ? La République française avait toutes les raisons de s’en laver les mains. Sans ouvrir une enquête, il sera impossible de remettre en cause  la cause de son décès. 

Thomas Lalire


CHILI: HOMMAGE À ALLENDE, UN AN APRÈS LE DÉBUT DE LA CRISE SOCIALE

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Le Chili a commémoré vendredi le 47ème anniversaire du coup d'État contre le président Salvador Allende, près d'un an après le déclenchement d'une vague de contestation sociale inédite depuis trente ans et à un mois d'un référendum historique. Une centaine de personnes, des militants de gauche et des familles de victimes de la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990), se sont rassemblées pour rendre hommage au président socialiste (1908-1973), renversé le 11 septembre 1973 par un coup d'Etat militaire.

Par Le Figaro avec l"AFP

PHOTO MARTIN BERNETTI / AFP 

La commémoration a lieu tous les ans en mémoire des 3200 morts et disparus de la dictature, ainsi que des 38.000 personnes torturées pendant cette période. Cette année, en raison de la pandémie de coronavirus, le nombre de participants était limité. «Le meilleur hommage qu'on puisse rendre à ceux qui ont donné leur vie pour la cause démocratique, comme le président Salvador Allende, c'est de travailler ensemble pour la victoire du oui au référendum du 25 octobre», a déclaré devant la presse le président du Parti socialiste, Alvaro Elizalde. À cette date, plus de 14 millions de Chiliens seront appelés à se prononcer pour ou contre la rédaction d'une nouvelle Constitution en remplacement de l'actuelle, votée en 1980, en plein régime militaire d'Augusto Pinochet.

«C'est une année pleine d'espérance, plus difficile» en raison de la pandémie de coronavirus, «mais remplie de possibilités de changements réels. C'est la première fois dans l'histoire du pays que nous avons la possibilité d'en finir avec cette Constitution pinochiste», a déclaré à l'AFP Lorena Pizarro, présidente de l'Association des familles de détenus disparus. Dans un message depuis le palais présidentiel de La Moneda, bombardé lors du coup d'État et où Salvador Allende avait fini par se donner la mort, le président conservateur Sebastian Piñera a appelé à «l'unité, la paix, le dialogue» et enjoint aux Chiliens de participer au référendum.

Parallèlement, des affrontements ont eu lieu entre une cinquantaine de manifestants et la police à l'entrée du cimetière général de Santiago, où se trouve le mémorial aux victimes de la dictature, point d'arrivée de la manifestation. Des appels ont aussi été lancés pour un rassemblement Plaza Italia à Santiago, épicentre de la contestation sociale contre les inégalités qui avait secoué le pays latino-américain à partir du 18 octobre 2019 et conduit les partis politiques à un accord historique en faveur d'un référendum sur la Constitution.


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IL Y A 50 ANS, LE CHILI

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PHOTO ADOBE STOCK

Le 4 septembre 1970, il y a tout juste 50 ans, Salvador Allende était élu président du Chili.

Au cours des mois précédents, il avait réussi à rassembler, sous une vaste coalition de gauche, l’Unité populaire, plusieurs formations politiques: le Parti socialiste, le Parti communiste, le Parti radical, le Mouvement d’action populaire unitaire (MAPU) et le Parti démocrate (PSD). Même le Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), une organisation de lutte armée fondée en 1965, avait donné un appui critique à la coalition. Le principal parti rival était la Démocratie chrétienne, issue de la phalange fasciste espagnole, qui proclamait que l’Église était au-dessus des partis politiques.

JACQUES LANCTÔT

Dans la foulée de la révolution cubaine, plusieurs organisations de guérilla avaient vu le jour en Amérique latine, durant les années 60: au Venezuela avec Douglas Bravo, en Argentine avec Jorge Masetti, en Uruguay avec les Tupamaros de Pepe Mujica et Raul Sendic, au Guatemala avec Turcios Lima, en Colombie avec les FARC de Manuel Marandula, au Brésil avec l’Action de libération nationale de Carlos Marighella, au Nicaragua avec le Front sandiniste de libération nationale de Tómas Borge, etc. Sans oublier, un peu plus au nord, le mouvement des Black Panthers aux États-Unis et le FLQ au Québec. L’arrivée au pouvoir d’un socialiste était donc la preuve que la voie électorale n’était pas à rejeter. Une première en Amérique (le Parti québécois, révolutionnaire à sa manière, allait prendre le pouvoir six ans plus tard, en 1976).

Salvador Allende croyait profondément en la démocratie électorale. Le socialisme était partie intégrante de cette démocratie, qui se voulait l’expression de la population, au service des travailleurs de tous les secteurs. D’ailleurs, le Che lui avait dédié affectueusement son livre La guerre de guérilla en ces termes: «À Salvador Allende, qui, par d’autres moyens, tente d’obtenir la même chose.» Son programme électoral, composé d’une quarantaine de mesures, était exemplaire: suppression des très hauts salaires, ajustement des pensions de vieillesse, sécurité sociale pour tous, distribution de lait aux enfants, un toit digne pour tous, ainsi que l’eau potable et l’électricité, soins médicaux et hospitaliers gratuits, abolition des taxes sur la nourriture, réforme agraire, création d’un Institut national de la culture, etc.

La droite ne tarda pas à réagir. Elle fit assassiner le général en chef René Schneider, qu’Allende avait nommé pour assurer la transition et garantir la loyauté des forces armées envers le processus démocratique en cours. Cette action criminelle allait marquer le début des hostilités des forces de droite, qui bénéficiaient de l’appui des États-Unis. Washington voyait d’un mauvais œil l’arrivée d’un socialiste, ami de Cuba de surcroît, à la tête d’un pays où ses multinationales, dont celles des mines de cuivre, risquaient d’être nationalisées. Le président états-unien donna carte blanche à la CIA pour qu’elle sabote, par tous les moyens, y compris la guerre psychologique, la révolution démocratique en cours.

Suivirent trois ans de luttes acharnées. Sabotages, grèves, attentats, assassinats, campagnes de salissage. Tout l’arsenal connu et expérimenté ailleurs. Même les grands syndicats, d’obédience états-unienne, furent utilisés pour miner les efforts du gouvernement socialiste. Jusqu’au 11 septembre 1973, trois ans plus tard, alors que l’armée, dirigée par celui qui deviendrait le dictateur le plus sanguinaire de l’heure, Augusto Pinochet, bombarderait le palais de la Moneda, siège du gouvernement légitime, où le président Allende se défendit jusqu’à la mort contre les putschistes, les armes à la main, ce qu’il avait toujours refusé de faire.

C’en était fait de la première victoire électorale socialiste en Amérique latine.

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5 septembre 2020

CHILI. LA PLACE ET LE RÔLE DE L’AMIRAL MERINO ET DE LA MARINE DANS LE COUP D’ÉTAT DE SEPTEMBRE 1973

JUNTE MILITAIRE CHILI 1973

Entretien de Jorge Magasich conduit par Bernardo Subercaseaux

Historien et professeur à l’Institut des Hautes Etudes des Communication Sociales de Bruxelles, Jorge Magasich s’est notamment spécialisé dans l’histoire navale du Chili et plus particulièrement dans le lien entre la Marine et le coup d’Etat de septembre 1973. Où et pourquoi cet intérêt pour la recherche a-t-il donné naissance à son livre Los que dijeron no (LOM Ediciones, 2008)?

À l'Encontre

Je pense qu’existaient trois types de motivations. D’abord parce que l’existence d’un nombre important de militaires, notamment dans la Marine, qui ont refusé de participer à l’attaque armée contre les institutions républicaines en 1973 indique que celle-ci n’a pas été perpétrée par l’ensemble des forces armées mais par une fraction d’entre elles. L’exploit des militaires légalistes est un épisode très important et peu étudié. Sa mise en perspective donne un rôle dans l’histoire aux hommes en uniforme qui ont respecté la Constitution en 1973.

Aussi parce que la Force navale, contrairement à l’image d’ordre qu’elle projette d’elle-même, a connu en moins d’un siècle cinq crises sociales majeures: en 1891, lorsqu’elle s’est insoumise au président Balmaceda et aux cinq amiraux: Juan Williams, Galvarino Riveros, Luis Uribe, Oscar Viel et Juan José Latorre, qui sont restés fidèles au gouvernement, tout comme un tiers de la Marine. Les conspirateurs ont dû descendre au sixième rang de la hiérarchie, le capitaine Jorge Montt, pour trouver un chef de la Marine déterminé à se mutiner et à précipiter le pays dans la guerre civile. Il y a une autre crise en 1925 lorsque, après le coup d’État de janvier 1925 par Ibáñez y Grove contre la junte militaire oligarchique, les officiers et sous-officiers du génie refusent d’obéir aux ordres du commandement naval de préparer les navires à une nouvelle guerre civile, ce qui permet le retour du président Alessandri [Arturo Alessandri Palma, président de la République du 24 décembre 1932 au 24 décembre 1938] et la mise en place de la Constitution. En 1931, après la troisième réduction des salaires du personnel public, les marins – probablement avec la complicité des officiers – occupent 27 navires, naviguent comme il se doit et luttent avec succès contre l’aviation. En 1961, plus d’une centaine d’étudiants de l’École navale de Viña [ville faisant partie du Grand Valparaiso] sont arrêtés après avoir protesté contre les mauvais traitements et la mauvaise qualité de la nourriture. Et en 1973, quelque 250 marins sont arrêtés parce qu’ils sont soupçonnés de faire partie des groupes anti-coup d’État, qui sont assez nombreux. Enfin, il faut aller au-delà des récits officiels de la Marine, qui se limitent à décrire les successions d’amiraux et de navires incorporés ou réformés, généralement en accord avec les opinions politiques d’extrême droite. Le livre Los que dijeron no («Ceux qui ont dit non») est également une contribution à l’histoire de la Marine dans le cadre de l’histoire du pays, avec ses contradictions, ses conflits et ses interventions politiques.


1. L’historiographie de l’Unité Populaire a soutenu que le coup d’Etat de 1973 a eu lieu dans la Marine, à Valparaiso, et que l’amiral José Toribio Merino a joué un rôle fondamental. Qu’indiquent vos recherches à ce sujet?


Dans ses Mémoires, Merino se présente comme un champion du catholicisme national, inspiré par [le dictateur de l’Espagne] Francisco Franco, qu’il admire profondément. Il affirme qu’il a décidé de lancer une croisade contre le gouvernement d’Allende dès le jour de son élection [élections le 4 septembre, prise de fonction le 4 novembre 1970]. Il commence par inciter la Marine à réaliser de nouveaux coups d’État: «si, malheureusement, une situation comme celle décrite ici devait se reproduire, la leçon a été tirée». En réalité, il n’en a pas toujours été ainsi. Trois témoignages de personnes qui le fréquentaient en 1970-71 – Osvaldo Puccio, Luis Vega et Roberto Kelly – indiquent que, lorsque sa carrière dépendait de l’autorité politique, il cherchait à satisfaire les autorités avec obsession. Ce n’est qu’à la fin de 1972 que l’image que Merino projette de lui-même est réelle. Dès lors, il est prêt à impliquer la Marine dans un soulèvement, même contre les autres branches des forces armées, comme ses prédécesseurs de 1891 et 1925. Il considère la Marine «comme l’instrument que Dieu m’a donné et que la Vierge a mis entre mes mains pour sauver le Chili d’un athéisme destructeur». Au début, un petit groupe a conspiré, composé de l’amiral Patricio Carvajal, du capitaine Arturo Troncoso et, dans une moindre mesure, de l’amiral Ismael Huerta, selon Luis Vega, alors avocat de la municipalité de Valparaiso. Jusqu’à ce que les responsables nord-américains de la mission navale répandent l’information selon laquelle le gouvernement péruvien prépare une guerre contre le Chili, à laquelle se joindraient l’Argentine et la Bolivie. Le Chili n’aura pas le soutien des États-Unis ou du Brésil, puisque les communistes sont au gouvernement.


Qui sont alors les seuls à pouvoir sauver le pays? La réponse est évidente. La mission est de se préparer à prendre le pouvoir. L’argument de la guerre incite de nombreux militaires à passer d’une opposition de droite au gouvernement, à l’insurrection. En 1972 commence à fonctionner un comité de coordination du coup d’État, composé de René Silva Espejo (directeur du quotidien El Mercurio), Carlos Urenda, Jorge Ross, Arturo Fontaine, Edmundo Eluchans, Hernán Cubillos, Orlando Sáenz (président de la SOFOFA-organisation patronale), Hugo León (président du secteur de la construction), Jaime Guzmán et d’autres. Il se réunit chaque semaine dans le bureau de Cubillos [ancien de l’Ecole navale Arturo Prat, puis directeur, dès 1962, de la firme Cemento Melón de la région de Valparaíso et, dès 1963, membre de la direction d’El Mercurio] à la maison d’édition Lord Cochrane. Ils y échangent des informations et décident des campagnes de presse. Les anciens marins Kelly et Cubillos sont chargés des contacts de conspiration avec Merino et les capitaines Arturo Troncoso et Hugo Castro, ainsi que de la propagande auprès de la Marine. C’est la première implication séditieuse connue de Merino. Et à partir de là, ça ne s’arrête pas… 


2. Sur le Paseo 21 de Mayo de Valparaíso se trouve une statue de 5 mètres de haut de l’amiral José Toribio Merino. Ce monument peut-il être considéré comme un témoignage de la collaboration entre civils et personnes de la Marine lors du coup d’État?


«Affirmatif», comme disent les militaires. Sa réalisation est une extension de cette coordination pour le coup d’État, ou une partie de celle-ci. Parmi les personnes ayant financé la statue figurent des hommes d’affaires comme Eliodoro Matte, Ricardo Claro, Carlos Cáceres, Hernán Büchi, Gonzalo Boffil, Gonzalo Vial et Sergio de Castro. En un sens, la statue symbolise la convergence séditieuse entre les officiers de la Marine et les hommes d’affaires, tous deux à l’extrême droite [1].


3. Qu’est-ce que la Cofradía Náutica del Pacífico Austral, une institution créée – selon ses statuts – pour la culture des sports nautiques? Qui y participait et quel rôle certains de ses membres ont-ils joué avant le coup d’État et pendant la dictature?


La Confrérie a précédé cette coordination du coup d’État puisqu’elle est née en août 1968 à l’initiative d’Agustín Edwards [la plus grande fortune du Chili qui a établi des liens avec Richard Helms de la CIA et a financé massivement El Mercurio] et d’Hernán Cubillos, un homme de confiance du propriétaire d’El Mercurio, un ancien officier de la Marine et futur ministre des Affaires étrangères de la dictature. Il y avait des officiers de la Marine comme José Toribio Merino, Patricio Carvajal et Arturo Troncoso, Pablo Weber, avec «quelques civils dont le nombre augmentera avec le temps» tels que Fernando Léniz (administrateur des biens d’Edwards et ministre des Finances de la dictature) et d’autres comme Jorge Ross, Enrique Puga, Isidoro Melero, Lord Dramon, Alfredo Barriga, Marcos Cariola, Emilio Sanfuentes. Les généraux Yovanne et Arellano y participent également, ainsi que d’anciens marins et des hommes de confiance d’Edwards, selon les récits d’Arturo Fontaine et de Roberto Kelly lui-même.


4. Le 11 septembre 1973, le propriétaire d’El Mercurio, Agustín Edwards, a participé à Barcelone à un dîner de la direction de la société PepsiCo, dont il était actionnaire et représentant à New York. La journaliste Josefina Vidal qui était présente à sa table a déclaré dans une interview (Revista Plan B, 2003, et El Mostrador, 24 avril 2017), que M. Edwards quittait continuellement la table, et à un moment donné, il a confié qu’il avait été appelé par son ami, l’amiral Merino, pour lui dire que «la situation était maintenant sous contrôle». Compte tenu du décalage horaire, il était environ 15 heures au Chili. Dans ce contexte, peut-on parler – comme l’a dit le président Sebastian Piñera à la fin de son premier gouvernement [2014] – de civils qui étaient «complices passifs du coup d’État»? Ou devrions-nous plutôt parler de «complices actifs»?



Agustín Edwards Eastman (dr.) avec Augusto Pinochet

Edwards part pour les États-Unis quelques jours après l’élection de 1970, lorsque l’ambassadeur Edward Korry et le chef de la CIA à Santiago, Henry Hecksher, l’informent qu’il n’y aura pas de coup d’État. A Washington, il rencontre Henry Kissinger puis Richard Helms, le chef de la CIA, le 14 septembre. Il lui remet un rapport impressionnant – presque entièrement déclassifié aujourd’hui – dans lequel il analyse l’«option militaire», fait état de chacun des chefs militaires, de leur propension ou de leur rejet du coup d’État. Il est le premier à conclure que le général René Schneider doit être «neutralisé» (Korry arrive à la même conclusion quelques jours plus tard). Ce rapport, ainsi qu’un autre envoyé par Eduardo Frei [président de la République de novembre 1964 à novembre 1970, il sera assassiné en 1982 par les services de Pinochet car devenu opposant] le 12 septembre déterminent les fameuses instructions pour organiser un coup d’État au Chili, données par Richard Nixon le 15 septembre 1970. Dans le deuxième volume d’une Historia de la Unidad Popular qui doit paraître cette année, aux Editions LOM (en même temps que le premier volume), je traite en détail de ce qui s’est passé pendant les 60 jours qui se sont écoulés entre l’élection et le coup d’Etat. Edwards était un participant extrêmement actif au coup d’État. Le récit de Josefina Vidal indique deux choses: que José Toribio Merino maintient un contact prioritaire avec le propriétaire d’El Mercurio, et que l’amiral s’adresse à l’homme d’affaires en tant que subordonné, car ce dernier est le responsable. Elle reflète clairement la réalité du pouvoir. Et le patriotisme relatif de Merino.


5. Le 26 juillet 1973, six semaines avant le coup d’État, le capitaine Arturo Araya Peters, aide de camp de la Marine pour le président Allende, est assassiné. Les services de renseignement de la Marine de l’époque ont fait remarquer que l’assassinat avait été perpétré par des secteurs de la gauche. La justice a déterminé que les responsables étaient des militants proches de Patria y Libertad [groupe paramilitaire]; aucun d’entre eux n’a été emprisonné. En 1981, toutes les personnes impliquées ont été graciées par l’administration de l’amiral Merino. Que pouvez-vous nous dire sur cet assassinat?


Dans le livre Los que dijeron ‘No’, je pense avoir présenté ce qui est connu. Un groupe d’extrême droite, apparemment plus extrême que Patria y Libertad, a été emmené chez l’aide de camp [Arturo Araya Peters] par l’ancien officier de la Marine Jorge Ehlers Trostel. Ils ont tiré sur Arturo Araya, principalement Guillermo Claverie (il l’a admis), bien qu’il soit possible que l’auteur du tir mortel ait été en position d’embuscade. Les jours suivants, une gigantesque campagne de désinformation est menée pour accuser les Cubains et les gardes du coprs d’Allende, y compris la fabrication d’un faux coupable, impliquant les sénateurs García Garzena, Fernando Ochagavía et Pedro Ibáñez (Renovación Nacional); les membres du Congrès Hermógenes Pérez de Arce, Silvia Pinto et Mario Arnello (Renovación Nacional); Claudio Orrego et le président de la Chambre lui-même, Luis Pareto, tous deux membre de la Démocratie chrétienne.


Les services de renseignement militaires, dirigés par Nicanor Diaz (chef du coup d’Etat), n’enquêtent que sur ce point. Mais le service de recherche d’Alfredo Joignant [nommé par Allende à la municipalité de Santiago] a réussi à arrêter le groupe de droite, qui a avoué la fusillade. Ils ont été arrêtés et l’affaire est portée devant un tribunal naval présidé par Aldo Montagna. Les auteurs de l’attaque sont en effet libérés immédiatement après le coup d’État. Plusieurs ont rejoint l’appareil répressif, notamment le «Commandement conjoint». Il y avait des peines, ridiculement petites, qu’ils ne purgeaient pratiquement pas. Alors que la mémoire de l’aide de camp Arturo Araya Peters a été éradiquée de la Marine, jusqu’à après 1990. En effet, Merino, en tant que chef autoproclamé de la Marine, est responsable de cette impunité. Tous les souvenirs des amiraux du coup d’État – Merino, Huerta, Huidobro, Carvajal, Kelly – imputent l’attentat au «terrorisme» ou au «chaos», cachant le fait que les auteurs ont été identifiés et arrêtés, et qu’ils étaient d’extrême droite.


Carlos Tromben C, historien non officiel de la Marine, déclare que «l’on ne sait pas encore très bien qui a tiré sur l’aide de camp, parmi les nombreux groupes armés de toutes sortes opérant au Chili en 1972», alors qu’en fait, c’est clair. Dans ce cas, il doit déformer les faits pour maintenir sa défense obstinée de la version du coup d’État, ce qui discrédite son travail d’historien.


6. En quoi consistait le plan Cochayuyo? Qui a été ou a été impliqué dans son élaboration?


Selon Merino lui-même, le plan Cochayuyo est le complément des putschistes au plan PRI-ANCLA existant, conçu par les responsables du coup d’État, dans l’ombre du commandant en chef de l’armée Raúl Montero [de 1970 au 11 septembre 1973]. Il a été mis au point par les capitaines Jorge Camus et Ramón Undurraga. Pour Merino, ses «ennemis» étaient constitués par 20 000 à 30 000 dits irréguliers, dont quelque 5000 bien armés et entraînés. C’est-à-dire une bonne partie des travailleurs de Valparaiso. Le plan Cochayuyo prévoit l’utilisation de l’artillerie des navires contre les populations civiles. Dans ses Mémoires, Merino identifie les «cibles probables de l’attaque»: le cordon [structures d’autodéfense] portuaire maritime, qui s’étend de Puertas Negras à Plaza Sotomayor, y compris le chantier naval Las Habas, plusieurs ouvrages en construction, et l’École des douanes de l’Université du Chili; le cordon Central-Almendral, qui comprend l’industrie Hucke, la Direction des routes et l’École d’architecture de l’Université du Chili; le cordon Placeres-Port de l’Av. Argentina à El Sauce, y compris l’Université de Santa María. À Viña del Mar; le cordon de Quince au nord, centré sur l’industrie métallurgique Concón; le cordon de Concón, centré sur l’Empresa Nacional de Minería et l’Empresa Nacional del Petróleo; le cordon de Quilpué, de Paso hondo à El Belloto, où se trouve le centre de la KPD (entreprise de pièces préfabriquées d’origine soviétique), les entreprises Fideos Carozzi et Guzmán. Pour Merino, une bonne partie de la population est considérée comme «l’ennemi» et il est prêt à la bombarder. Le plan Cochayuyo était, à la fois, fou et réel.


7. La Commission Rettig [Commission nationale Vérité et Réconciliation qui publia en 1991 le rapport sur la période dictatoriale de 1973 à 1990] a documenté que trois navires de la Marine, l’Esmeralda, le Lebu et le Maipo, étaient des centres de détention et de torture en 1973. Le cas du prêtre ouvrier Miguel Woodward, qui serait mort des suites des tortures qu’il a subies sur le navire-école de la Marine, est toujours devant les tribunaux. Quels sont les résultats de votre enquête à ce sujet? Pensez-vous que le responsable [Merino] de la Marine porte une quelconque responsabilité dans ces événements?


En fait, je connais cette affaire en tant que citoyen, mais ce qui s’est passé après le coup d’État ne faisait pas partie de mon enquête.


8. Le témoignage du prisonnier Luis Vega, conseiller juridique du ministère de l’Intérieur, dans un document de la Commission Rettig et dans son livre Mis Prisiones, rappelle ce qu’il a vécu dans La Esmeralda: «Le spectacle était infernal. Les ampoules rouges (incandescentes). Les tortionnaires portaient des combinaisons d’entraînement et des masques noirs. Ils m’ont attaché les mains derrière le dos et chacun de mes dix doigts. Ils m’ont battu dans les douches, dont la sortie d’eau avait été supprimée, et un énorme courant d’eau de mer sous pression s’en échappait. Cela ressemblait à une «cave existentialiste» [par analogie aux bars souterrains en France]. Une épaisse chaîne en or autour de mon cou a été arrachée par la force et je portais un bracelet soudé. Jusqu’à ce jour, j’ai les signes qu’ils m’ont laissé quand ils l’ont arraché. Le jet d’eau a fendu le crâne, et l’eau a pénétré dans les yeux, le nez, la bouche et les oreilles. Et vous aviez l’impression de vous noyer, d’éclater, d’être rendu sourd. Ils nous ont fait sortir et nous ont jetés à terre, où ils ont commencé à donner des coups de pied et à battre les six hommes et une femme qui étaient là. Le 12 septembre, nous étions déjà 42 hommes et 72 femmes, entassés ensemble. La même nuit du 12, un officier ordonne de mettre une bâche pour séparer les enclos des hommes et des femmes. Le traitement réservé aux compagnes était infâme. Ils tripotent les seins, les fesses et les cuisses; ils les mettent sous l’eau et crient avec hystérie: «Toutes ces salopes prétendent être en règle…» Pendant dix jours, j’ai écouté les protestations courageuses, les cris déchirants et les lamentations des hommes et des femmes torturés. Que pensez-vous de ce que dirait Arturo Prat [commandant de la corvette Esmeralda sur laquelle il mourut lors du combat naval d’Iquique en mai 1879] de cette utilisation de La Esmeralda comme centre de réclusion et de torture?


La même chose que la description et le dégoût de Luis Vega qui, comme beaucoup d’autres, a été victime des atrocités perpétrées sur le navire-école.


9. Que pouvez-vous nous dire sur ces officiers de la Marine qui ont dit non au coup d’État, pouvez-vous citer quelques cas et nous informer de ce qui leur est arrivé?


Certains officiers de la Marine ont tenté de maintenir la légalité de l’institution. A commencer par le commandant en chef, l’amiral Raul Montero, qui était résolument opposé au putsch; il a été kidnappé chez lui, par des équipes dirigées par Merino. Les amiraux Daniel Arellano, Hugo Poblete Mery et le capitaine René Durandot sont exclus, ainsi que le lieutenant Horacio Larraín, qui doit s’exiler au Danemark, et le capitaine Gerardo Hiriart, qui se trouve à l’étranger, envoie sa démission. D’autres, comme le commandant Carlos Fanta, ont suivi les putschistes mais se sont opposés à l’instauration d’une dictature. Ils se sont retrouvés en dehors de la Marine où le soutien à la dictature et à ses doctrines extrémistes était une condition pour y rester.


10. On a l’impression que la Marine, surtout les officiers, sont très polis et sont des messieurs. Ils laissent passer les dames ou les anciens. Ils sont, dit-on, de «gentlemen». Je crois savoir que vous avez fait des recherches sur les relations entre les officiers et les membres de la Marine, que pouvez-vous nous dire à ce sujet?


Dans des entretiens avec plus de 30 marins sur la vie dans la Marine à la fin des années 1960 et au début des années 1970 – publiés récemment – le mot «traitement» semble souvent désigner les abus de pouvoir des officiers, l’arbitraire, l’humiliation. Un des éléments qui explique les cinq crises sociales de la Marine en moins d’un siècle est la tension entre la situation sociale des marins, qui sont des techniciens, et l’autoritarisme des officiers qui maintiennent un traitement méprisant, comparable à celui régnant dans une hacienda du XIXe siècle. Une des conclusions est que les marins anti-coup d’État, en plus de dénoncer le coup d’État qui se prépare, formulent des revendications sociales, à partir de simples exigences, comme le même menu pour tous, le fait de ne pas porter d’uniforme pendant les jours de repos, le droit de poursuivre ses études, la liberté de lire, l’application du droit d’association et une école nautique unique, où les plus qualifiés accèdent aux plus hautes fonctions. Ceci jusqu’en 1973. Je n’ai pas étudié la situation actuelle. Mais je vous recommande le remarquable livre Vuestros nombres valientes soldados (“La brèche entre les droits et les privilèges qui sépare les civils des militaires”), de Catalina Andrea Gaete Salgado (Ediciones Radio Universidad de Chile, 2014).


11. La mémoire historique la plus complète possible est une condition nécessaire pour une société saine et ayant un avenir, telle que l’Allemagne l’a comprise par rapport au passé nazi, mais une société ne peut pas non plus rester figée à jamais dans ce qui s’est passé: ne serait-il pas souhaitable que la Marine fasse une autocritique par rapport à sa participation au coup d’État et surtout à la violation des droits de l’homme? Pensez-vous qu’il soit possible qu’une décision de ce type se produise? Pensez-vous qu’un geste de cette nature contribuerait peut-être à une plus grande proximité entre les forces armées et la société?


Mon opinion, en tant que citoyen, est que, tout d’abord, une politique internationale est nécessaire pour résoudre tous les problèmes en suspens avec les trois pays voisins, en particulier ceux qui rappellent la guerre contre la Bolivie et le Pérou. Si nous y parvenons, nous pourrons laisser aux générations futures un pays sans tensions latentes, qui peuvent toujours dégénérer. C’est pourquoi je pense qu’une position ouverte vis-à-vis de la demande bolivienne d’accès à l’océan [demandé répétée par Evo Morales en 2018] est positive pour la Bolivie et très positive pour le Chili. Les pays concernés pourraient réduire considérablement les dépenses d’armement et la taille de leurs forces armées, afin d’affecter ces ressources à des politiques de développement économique et social.


La deuxième idée est que l’histoire nous dit que les forces armées chiliennes ont systématiquement agi contre leur peuple. La liste des meurtres et le nombre de victimes sont impressionnants. C’est pourquoi l’un des enjeux du débat constitutionnel [présent] doit être sa démocratisation. Cela signifie, entre autres, que la Marine, comme l’Armée de terre, ainsi que de l’air, et les carabiniers [force militaire de répression] ne doivent plus être des institutions qui défendent la droite, mais doivent être au service de tous les Chiliens. Et dans ce débat, les militaires qui ont fait leur devoir en 1973 tout en respectant la Constitution doivent être reconnus et entendus.


12. Comme l’a établi la Commission Church du Sénat américain (1975-76) [United States Senate Select Committee to Study Governmental Operations with Respect to Intelligence Activities, dirigée par Frank Church], l’intervention du gouvernement Nixon et ses opérations de renseignement ont joué un rôle actif dans le renversement du président Allende (avant même qu’il ne prenne ses fonctions, par le biais d’une collaboration à l’assassinat de l’ancien commandant en chef de l’armée, le général René Schneider). La Marine a des liens étroits avec les forces navales américaines par le biais de l’opération UNITAS. Vos enquêtes ont-elles mis en évidence des liens entre l’opération UNITAS de 1973 et le coup d’État?


En analysant l’ingérence américaine au Chili, il faut garder à l’esprit que plusieurs institutions sont impliquées, parfois en désaccord entre elles: la Maison Blanche, le Département d’État (ministère des Affaires étrangères), la CIA, l’ambassade, l’armée (le Pentagone) et le Conseil de sécurité nationale (NSC). Les documents déclassifiés fournissent des informations sur les quatre premiers, mais on ne sait pas ce qu’ont fait les deux derniers. Le rôle de la flotte Unitas qui se trouvait au large des côtes chiliennes lors du coup d’État devrait être détaillé dans les dossiers de l’Agence du renseignement de la défense (DIA). Et cela, pour autant que nous le sachions, n’a pas été déclassifié. (Publié dans Le Monde diplomatique, Edición Chilena, 4 septembre 2020; traduction rédaction À l’Encontre)

Jorge Magasich Airola est historien et auteur de Los que dijeron “No”» (LOM, 2008) et de Historia de la Unidad Popular, qui sera bientôt publiée. Bernardo Subercaseaux est professeur au Département de littérature et d’histoire culturelle de l’Université du Chili.


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[1] La liste complète se trouve à l’adresse suivante: www.theclinic.cl/2012/01/16/la-estatua-de-merino-se-tambalea

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26 juin 2020

ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE SALVADOR ALLENDE AU CHILI

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SALVADOR ALLENDE DANS SON BUREAU DE LA PRESIDENCE EN 1971
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Santiago du Chili, 26 juin 2020 (Prensa Latina) Bien que le confinement en raison de la pandémie de Covid-19 empêche les hommages publics et y compris de se rendre sur sa tombe, des milliers de Chiliens se souviennent aujourd’hui de Salvador Allende à l’occasion du 112ème anniversaire de sa naissance.
Sur les réseaux sociaux, beaucoup le félicitent comme s’il était présent, tandis que d’autres rappellent l’actualité des idées et de l’exemple du «compagnon Président », comme il était appelé quand il occupait le palais de La Moneda.

Le journal El Siglo, dans un article de son directeur, Hugo Guzmán, assure que l´on se souvient de Salvador Allende aujourd’hui lorsque certains n’hésitent pas à le définir comme le leader social et politique le plus important et influent dans l’histoire du Chili des deux derniers siècles.

Il soutient que son empreinte a irradié tant au niveau national qu´international et que sa pensée est une source récurrente dans les espaces académiques, législatifs, politiques, syndicaux, étudiants et d’historiens.

Sa pratique en tant que médecin, militant socialiste, figure fondamentale de la gauche chilienne, ministre, parlementaire et président de la République, a été marquée par la cohérence et la droiture dans son dernier geste de défense sans restriction du mandat populaire et constitutionnel de la présidence, en combattant depuis le palais présidentiel de La Moneda, précise-t-il.